Nathalie Riond est directrice académique des programmes entrepreneuriaux à impact d’HEC Paris et notamment du programme HEC Stand Up à destination des femmes. Sur l’île pour quelques jours, elle a donné une conférence sur le thème « Déconstruire les mythes de l’entrepreneuriat » à la Fabri’c dans le cadre du partenariat entre Beelab Réunion et le prestigieux programme HEC Stand Up.
1. Nathalie RIOND, vous êtes Directrice académique du programme HEC Stand UP, pouvez-vous nous en dire plus sur ce programme ?
Hec Stand Up est un programme d’égalité des chances, qui existe depuis 2012 et qui a été totalement repensé en 2019. Depuis cette date, nous avons formé 2 500 femmes et en avons certifié 750, principalement en Ile de France, aux Antilles et à La Réunion. Notre ambition est de favoriser l’indépendance financière des femmes ainsi que leur autonomie par l’entrepreneuriat. Nous activons trois leviers : la levée des freins individuels (perception de ne pas être légitime, manque de confiance en soi, peurs…) et systémiques, le passage à l’action et une approche très pragmatique du lancement d’une activité. Notre programme initial court sur 10 semaines, avec une partie digitale, une partie sur le terrain et une partie en présentiel. A l’issue de ces 10 semaines, les entrepreneuses ont toutes les clés pour lancer leur activité. Quelques mois suivant cette formation initiale, nous proposons, sur sélection, un parcours de 6 mois qui, lui, consiste à booster l’activité commerciale. La première session de ce deuxième programme démarre en septembre aux Antilles et à La Réunion, avec des entrepreneuses certifiées les années précédentes.
Pour finir, ce programme est un programme HEC : il s’inscrit totalement dans la culture d’excellence de notre école. Cela signifie que nous mettons nos années d’expérience acquises auprès de milliers d’entrepreneurs au service des entrepreneuses, et que l’ensemble de l’écosystème HEC peut être accessible à celles qui s’investissent dans leur projet avec le même désir d’excellence. Enfin, ce programme est gratuit pour les entrepreneuses, financé par des donateurs individuels ou institutionnels. En l’occurence, à La Réunion, comme aux Antilles, nous sommes accompagnés par la Bred, avec qui nous avons une vraie relation de confiance.
2. Comment le réseau et le soutien offerts par le programme HEC STAND UP contribuent-ils à renforcer la confiance et la détermination des femmes entrepreneures, en particulier dans un contexte insulaire comme celui de la Réunion ?
L’entrepreneuriat est une aventure souvent solitaire, qui demande de courir des marathons et des sprints. Cela peut être épuisant émotionnellement et physiquement, surtout quand les résultats demeurent incertains pendant un certain temps. Le réseau est donc une ressource fondamentale…pour autant qu’on le construise avec pertinence.
La base du réseau, c’est la confiance. Notamment celle qu’on inspire aux autres. Il est difficile d’inspirer confiance si, au préalable, on n’a pas confiance en soi-même. Cela se voit, cela se sent. Dans HEC Stand Up, nous travaillons beaucoup sur la personne elle-même, pour qu’elle se connaisse et se reconnaisse dans sa propre puissance. Ce travail, initié pendant la phase digitale, requiert des exercices en groupe, ce qui permet aux participantes de faire connaissance d’une façon finalement assez intime, et leur donne l’opportunité de nouer des liens très forts. Elle dispose ainsi d’un “système de support” qui facilite les passages parfois douloureux ou décourageants dans l’expérience entrepreneuriale.
Par ailleurs, le faite de disposer d’une communauté nombreuse, permet, notamment sur des territoires comme les îles, de “faire meute”, c’est à dire de joindre les forces pour solliciter ce qu’il est parfois difficile d’obtenir seule: un emplacement sur un marché, un accès à des ressources, une couverture médiatique…
Enfin, beaucoup d’entrepreneuses au sein de notre communauté ont des activités connexes: comme elles partagent une approche entrepreneuriale commune via Stand Up, elles peuvent collaborer et proposer des offres conjointes, souvent plus différenciantes. Et la mise en commun de leurs contacts peut considérablement accélérer le développement commercial de leurs activités.
3. Quelles sont les compétences clés que les femmes entrepreneures devraient développer pour réussir dans l’environnement entrepreneurial actuel ?
Les entrepreneur-es sont souvent de bon “techniciens”: ils connaissent leur offre. Mais s’ils restent techniciens, ils ont peu de chance de connaitre une croissance pérenne. Il leur faut devenir chefs d’entreprises.
Pour cela, ce qui fait défaut à beaucoup d’apprentis entrepreneurs, hommes ou femmes, c’est une compréhension des “chiffres”: de la comptabilité et de la finance bien sûr, mais pas seulement. De la projection des ventes par exemple: combien de produits dois-je vendre par mois pour générer le chiffre d’affaires que je veux atteindre? Et donc combien de prospects dois-je contacter? Ignorer les chiffres, c’est se mettre en position d’échec à court ou moyen terme.
Poser des chiffres sur un papier, c’est éliminer un grand nombre de façons d’échouer!
Derrière cette peur des chiffres, il y a souvent une relation à l’argent un peu compliquée. C’est aussi quelque chose sur lequel nous travaillons.
Pour lever ces blocages, il faut des formations très pragmatiques: c’est un de nos objectifs de cette fin 2023.
Une autre compétence clé, et différenciante aujourd’hui, c’est le “focus”, la capacité à concentrer son énergie sur peu d’objectifs…et donc, en miroir, la capacité à dire non à plein de choses. Pour résumé, on pourrait dire que focaliser son énergie, consiste à finir bien ce que l’on commence.
4. En tant que directrice pédagogique du programme, quelles sont vos observations sur l’évolution de l’entrepreneuriat au féminin ?
Il n’y a pas vraiment d’entrepreneuriat “au féminin” de mon point de vue: il y a des étapes du parcours entrepreneurial où les femmes rencontrent des obstacles différents de ceux des hommes et des étapes où les obstacles sont similaires. Quoi qu’il en soit, c’est un parcours difficile, que de plus en plus de femmes choisissent.
Je pense que l’’entrepreneuriat peut être pour les femmes une voie d’émancipation et de progression sociale et pour notre société un levier important pour faire face aux défis sociaux et environnementaux actuels. Il n’y a pas de doute, les femmes ont un rôle fondamental à jouer.
Cependant, je vois beaucoup de femmes, de tous milieux, parfois très qualifiées, qui ont tout ce qu’il faut pour lancer leur activité, mais qui ne passe pas à l’action, ou vivotent parce qu’elles manquent de confiance en elles. Elles n’osent pas. Je pense qu’il y a un gros travail à faire pour déconstruire toutes leurs croyances intériorisées et limitantes.
Je constate aussi que les femmes qui sont alignées, c’est à dire qui sont à l’aise avec ce qu’elles sont, et notamment avec leurs limites, passent plus facilement à l’action: elles savent qui elles sont et que ce qu’elles font ne les définit pas. Elles ont donc moins peur de l’échec et savent qu’avec la réussite aussi, il y aura peut être un prix à payer…comme l’éloignement de certains proches.
Il reste de vrais obstacles systémiques : des femmes en charge d’enfants en bas âge ont mécaniquement moins de temps à consacrer à leur projet: par conséquent, si elles ne disposent que de 25 heures par semaine et qu’elles se mettent des objectifs à 50 heures, ça ne peut pas marcher…Pour de donner le maximum de chance de réussite, une femme doit adapter son engagement à ses conditions de vie, peut être plus qu’un homme.
5. Comment les femmes entrepreneures peuvent-elles contribuer à l’économie locale ?
Les femmes peuvent créer de la valeur de multiples façons en fonction de l’impact qu’elles souhaitent avoir: elles peuvent créer de la valeur économique, de l’impact social, de l’impact environnemental…comme les hommes! La question serait plutôt pour moi: comment les territoires facilitent l’engagement des femmes? En leur libérant du temps, en facilitant l’accès aux capitaux….
6. Quels conseils donneriez-vous aux femmes qui hésitent encore à se lancer dans l’entrepreneuriat ?
Pour celles qui y songent, il faut avoir une bonne idée de son contexte personnel pour bien dimensionner son projet: de combien de temps totalement libre par semaine je dispose? Ai-je des revenus autres, jusqu’à quand? Ai-je un endroit tranquille pour travailler?…
Ensuite, avant de prendre une décision définitive, il faut valider que son idée est bien une opportunité commerciale: c’est sur cette phase que nous travaillons beaucoup dans Stand Up. Si c’est le cas, alors on peut décider de continuer…
Ce n’est donc pas une décision définitive, mais une série d’actions qui, à leur issue demanderont une décision: est-ce que je continue ou pas?
La clé: le passage à l’action…raisonné!
Merci à Nathalie RIOND pour le temps qu’elle a accordé au Beelab, Incubateur au féminin
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